Des Rayonnements dans l’ombre
Portraits d’artistes chinois
Depuis le milieu des années 1990, j’arpente la Chine, pour y étudier sa langue, y travailler et y mener des recherches ethnographiques auprès de communautés hétéroclites, souvent sans rapport les unes avec les autres. À l’aide de carnets de notes et d’un simple appareil photo, je saisis les paysages, les activités et les expressions que les Chinois m’offrent. J’en remplis des cartons. C’est au tournant de l’an 2000, vivant dans le sud-ouest de la Chine auprès de plusieurs communautés d’artistes chinois que j’ai réalisé des portraits, ceux de visages qui frappaient par leur charisme, leur androgynéité et leurs regards.
Loin des cercles artistiques académiques, ces musiciens, performeurs, peintres et créateurs adoptent souvent un mode de vie en marge, une approche critique et des pratiques à contre-courant. Leurs convictions sont difficilement conciliables avec l’ambition étatique d’uniformisation. Leurs œuvres, encore diffusées de manière confidentielle, livrent une vision lucide, novatrice et subversive des bouleversements en cours de la culture et de la société chinoise. Leurs voix ont jusqu’à ce jour enrichi leur carrière, contribué à affirmer des identités originales ou se sont parfois assourdies sous une pression sociale, économique et idéologique imposant les compromis. Les artistes, eux, continuent à défier les normes.
Complice, j’ai cherché à capter la particularité, la multiplicité et la force de chacune de ces personnalités, au gré des lumières que leurs visages m’offraient, souvent dans l’improvisation. Partager la vie de ces artistes plusieurs années durant a nourri mon regard sur une Chine méconnue, marginale, devenue le centre de mon travail.
Avec cette exposition est venu le temps de dévoiler cette dimension intime de la Chine et présenter ceux qui font l’Art contemporain chinois, critique et résistant. Ces portraits sont un hommage à la démarche de ces artistes et une invitation à découvrir la contribution inégalable et variée qu’ils apportent à la compréhension de la Chine contemporaine, celle d’un rayonnement dans l’ombre.
Originaire de Semur-en-Auxois (Côte d’Or), Caroline Grillot est ethnologue et sinologue, chercheur indépendant, affiliée à l’Institut d’Asie Orientale de Lyon.
Auteur de nombreuses publications, elle consacre ses recherches aux marges sociales chinoises, parmi lesquelles les Miao, les musiciens underground, les couples mixtes sino-vietnamiens et les apiculteurs transhumants.